Critique de la Médiature
L’Organe de Médiation est une initiative du Président Kérékou en application des propositions de la Conférence nationale. Dans l’exposé des motifs, le gouvernement du Président Yayi Boni s'est inspiré des dispositions de l’article 98 de la constitution du 11 décembre 1990 pour inscrire le médiateur dans son programme d’action. D’où la signature du décret 2006-417 portant création, attributions organisation et fonctionnement de l'Organe Présidentiel de Médiation (OPM).
Cette action a été accompagnée du retrait du projet de loi initial. On a glosé à ses débuts sur le bien fondé constitutionnel de la substitution d'un décret à un projet de loi, puis le volontarisme autoritaire de Monsieur Yayi Boni a renvoyé les scrupules juridiques au silence. Au lieu de pinailler sur sa légalité on a préféré voir le bon côté de la chose. On peut en effet penser que cela prend place dans le dispositif de la gouvernance concertée. A condition que ce soit un organe qui s’interpose entre les citoyens et le pouvoir ou les organisations politiques ; avec une compétence surtout sociale, etc. L’article 1 du décret No 2004 - 299 - définit le médiateur de la République comme « un organe intercesseur gracieux entre l’administration et les usagers de la fonction publique ». Autorité indépendante, le médiateur de la République constitue selon les initiateurs une solution originale pour la résolution des conflits qui opposent les citoyens au service public, les forces socioprofessionnelles au gouvernement.
Au lieu de quoi on voit une compétence qui s’étend de jour en jour : de l’affaire des Gsm à la crise politique que nous connais-sons actuellement. Or cette extension ne fait que court-circuiter les instances démocratiques établies. On crée ainsi une espèce de point focal de la démocratie ; et le pouvoir du peuple est trans-formé en un pouvoir géré de façon personnelle par un homme qui se fait fort de jouer les indispensables, un homme qui n’aime rien tant que se retrouver au centre de toutes les tractations poli-tiques. On a beau faire la part de la dimension de la spécificité culturelle africaine qui privilégie la palabre, on ne voit pas comment ce phagocytage de compétences institutionnelles par un seul homme-instance au nom de la bonne idée de la médiation soit compatible avec les règles et l’éthique de la démocratie.
Derrière l’idée de médiation affichée, se dessine inexorablement la forme de la méthode de gouvernement chère à Yayi Boni ; une méthode qui révulse les partis et groupes politiques de tout bord. En l’occurrence dans le conflit qui agite le landernau politique béninois actuellement il n’y a rien de plus crispant, de plus paradoxal que de vouloir régler la crise par un homme, à la neutralité douteuse et qui n’est pas un élu, au motif qu’il a fonction de médiateur. Les affaires politiques doivent être prioritairement réglées en toute responsabilité par les hommes politiques. C’est ça le principe de la responsabilité. Si Yayi Boni n’est pas capable de parler directement au peuple en dehors de la manipulation des émotions religieuses ; s’il n’est pas capable de parler aux dirigeants des partis politiques, sauf par l’intermédiaire d’un médiateur, ce n’était pas la peine de se faire élire Président. Un homme politique a besoin d’avoir du charisme ; il doit avoir le courage d’aller au-devant des autres ; pas sous-traiter son devoir de parole ou d’intervention. Et dans la mesure où cette sous-traitance se généralise à tous les niveaux de l’Etat et de la gouvernance, on passe sans solution de continuité de la gouvernance concertée à la gouvernance régentée.
Or la dérive qui conduit de la médiation à la régence, qui fait du médiateur un régent, fait du même coup de la République une Monarchie et de la Démocratie une autocratie déguisée.
L’autre travers de cette dérive est celui de l’autocélébration d’un homme à l’utilité contestable qui abuse de la crédulité de l’opinion pour se mettre à chaque fois au centre du débat politique. A. Tévoédjrè voudrait sans doute que la postérité se souvienne de lui comme d’un homme central de l’histoire de la vie politique nationale. Mais la centralité dans la vie politique peut être positive comme elle peut être négative. Quoiqu’on dise Monsieur A. Hitler restera central dans l’histoire politique de l’Allemagne. En dehors de sa posture et de ses rodomontades professorales qui sont comme toujours pour un pays académiquement sous-développé ce que sont la posture et les poses royales des borgnes au pays des aveugles, Monsieur Tévoédjrè ne brille pas par ses bienfaits avérés. Voilà un homme qui, un temps candidat à l’élection présidentielle, promettait à toute une génération épuisée, entre autres monts et merveilles, du travail et des emplois en nombre considérable mais qui, une fois en poste, n’a pas été fichu de tenir, comme tous les hommes politiques de son acabit, le moindre début de commencement de sa parole. Et ce n’était pas encore le pire. Le pire fut d’avoir intrigué pour contribuer à faire revenir Kérékou au pouvoir ; puis de s’en glorifier, comme de ces malfaiteurs sans état d’âme qui, en mal de publicité, préfèrent être tristement célèbres que pas célèbres du tout. Bien sûr, en tant que natif de l’Ouémé et donc du Sud du Bénin, il avait l’excuse atavique de ne pas aimer le Président Soglo et de lui faire la peau par tous les moyens possibles et imaginables ; de servir sa haine atavique sous les dehors anti-régionalistes du souteneur rationnellement national d’un homme politique du Nord.
Et comme il a pris goût à son rôle autoproclamé de faiseur de roi, voilà qu’il débarque à nouveau dans les bagages du changement, et ce sans vergogne ni scrupule ; se plaçant aux avant-postes du nouveau régime. Après avoir contribué à faire régresser terrible-ment le Bénin dix années durant sous la gouvernance catastrophi-que et corrompue de Kérékou, le voilà qui sans crier gare se fait devin et régent du régime qui, du moins dans l’esprit de mars 2006, ambitionne de changer l’ordre moral et politique des choses. Paradoxe typiquement béninois d’un homme qui par ses manigances réussit à chloroformer la vigilance intellectuelle de toute une société pour aujourd’hui jouer les indispensables, sans même prendre le souffle du moindre mea culpa. Et dans la mesure où le changement dont Monsieur A. Tévoédjrè se fait ou se pense l'artisan jusqu'à présent n'a fait aucun miracle retentis-sant ; dans la mesure où ce changement n'a rien changé aux misères du peuple causées par l'incurie du régime précédent dont Monsieur A. Tévoédjrè était, faut-il le rappeler, l'un des promoteurs historiques ; dans la mesure où au lieu de conforter la démocratie, ce régime dit du changement s'en donne à coeur joie d'y faire de graves entorses, au point d'accumuler de lourds nuages dans son ciel jusque-là radieux, force est de constater que l'homme qui se veut au centre de tous ces mouvements ne peut être accrédité d'aucun bienfait notable pour notre pays.
Que Monsieur Albert T. prenne goût à son show personnel, à son obsession de centralité dans la vie politique du Bénin est un fantasme existentiel qu’il a plus ou moins bonheur à réaliser. Tant mieux pour lui. En dehors de l’amnésie affligeante qui entoure sa nuisibilité dans l’histoire politique de notre pays, le vrai danger incarné par A. Tévoédjrè réside dans ce qui se profile derrière la dérive que prend son rôle actuellement. Cette posture d’un homme qui se substitue aux diverses instances politiques et sociales, et qui, au nom de la concertation, est mis en avant par un pouvoir, un régime, et un chef de l’Etat incapables de faire face à leurs responsabilités, cette posture disons-nous, est nuisible à la démocratie. Car elle inaugure en trompe l’œil le règne d’une autocratie bicéphale où le pouvoir effectif est détenu par un seul homme qui régente la vie politique nationale dans ses sauts et ses soubresauts les plus décisifs. D’une certaine manière il y a collusion objective entre deux tendances autocratiques surannées. Pourquoi ne pas laisser les partis politiques et le pouvoir traiter directement des affaires politiques ? Au train où vont les choses, la médiature tend vers la sous-traitance de la responsabilité politique. La fonction en elle-même est moins en cause que la caractère hétéroclite de ses prérogatives. L’homme qui l’exerce, de par son histoire et ses tendances, de par ses dispositions à obséder le centre de la vie politique, tend vers une logique de régence qui surdétermine l’action du gouvernement. Dans un régime présidentiel comme le nôtre, cette surdétermina-tion est une confiscation rampante de la démocratie. Une dérive qui commence doucement mais qui risque de finir durement.
En politique, l'homme fait souvent la fonction. Aussi avant d'en arriver à un point de non-retour, à défaut de brûler l’homme qui l’incarne, il est peut-être urgent de rectifier l'orientation inquiétante qu'il intime à la fonction de Médiateur.
Binason Avèkes
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